«La commercialisation ne se fait pas à la légère»

Der Agrarwissenschaftler und ehrenamtliche Berghilfe-Experte Roger Schwarzenbach über die Direktvermarktung im Berggebiet.​

Avant, les paysans étaient des producteurs. Ils livraient leur lait, leur viande, leurs céréales, leurs pommes de terre et n’avaient pas à se soucier du reste. Maintenant, depuis que les prix des produits de l’agriculture s’effondrent, de nombreux petits exploitants ont décidé de commercialiser leurs produits eux-mêmes afin que la création de richesse reste dans leur exploitation. Roger Schwarzenbach, agronome et expert bénévole à l’Aide Suisse aux Montagnards, nous donne son avis sur les chances et les défis de la vente directe dans les régions de montagne.


La vente directe est-elle la solution miracle pour les producteurs des régions de montagne?

Non, je ne le dirais pas. La commercialisation directe ne se prête pas à toutes les exploitations. Un magasin à la ferme ou un stand self-service peut avoir du succès lorsqu’ils peuvent se prévaloir d’une bonne affluence. La plupart des exploitations dans les régions de montagne ont cependant une situation de départ défavorable du fait de leur isolement. Dans de tels cas, il est préférable de renoncer à la vente directe, car l’investissement personnel que cela implique est souvent sous-estimé. Il faut conditionner les produits en portions, les emballer, les étiqueter, en contrôler la qualité, respecter les normes d’hygiène. Et lorsque l’on exploite un magasin à la ferme, il faut s’occuper de la vente – autant de prestations que les entreprises de traitement et les commerces proposent. Pour de nombreuses exploitations, la commercialisation par l’intermédiaire des grossistes s’avère être la bonne solution car tout le monde n’est pas à même de se lancer dans la vente directe.

Si l’isolement des régions de montagne constitue un désavantage pour un magasin à la ferme, la vente via Internet ne serait-elle pas la solution pour les exploitants?

Oui, bien sûr. Grâce à Internet et au développement du digital, les distances ne jouent plus de rôle majeur. L’isolement des exploitations en montagne ne devrait donc plus être un désavantage sur le plan de la concurrence. Mais l’exploitation d’un magasin on-line requiert de bonnes connaissances et une infrastructure technique ad hoc. Ce n’est pas l’affaire de tout le monde. Par ailleurs, il ne faut pas en sous-estimer les coûts, car le software est cher. A cela vient s’ajouter la logistique. Lorsqu’il y a encore un bureau de poste dans les environs, les produits peuvent s’expédier facilement. Mais en de nombreux endroits dans les régions de montagne, il n’y a plus de bureau de poste. Cela implique de devoir livrer soi-même les produits ou alors de passer par des entreprises de livraison. Encore faut-il voir si ces dernières traitent avec les régions de montagne et à quel prix.

 Roger Schwarzenbach

De quoi faut-il tenir compte en particulier dans la commercialisation directe?

La vente directe n’est pas un domaine auquel on peut se consacrer à la légère à côté de tout le reste. Elle doit faire partie intégrante de la stratégie d’entreprise et constituer, à l’instar de la production, une branche de l’exploitation à part entière. Lorsque l’on veut se lancer dans la vente directe, il faut être à même de proposer un assortiment relativement large. Il ne suffit donc pas de produire une seule sorte de pommes. Il faut en cultiver plusieurs sortes et si possible aussi des poires et des pruneaux. Dans certains cas, une stratégie de vente directe peut nécessiter de revoir toute la production. Il est important de se poser les questions suivantes avant de franchir le pas: mes produits sont-ils adaptés? Quelles sont les attentes des consommateurs? Comment s’articule l’offre des autres négociants directs dans les environs? Comment puis-je me démarquer? Les consommateurs viendront-ils vers moi, ou devrais-je aller les chercher? Mes ressources financières sont-elles suffisantes pour ouvrir un magasin à la ferme ou un shop online ou un autre commerce du même genre? Est-ce que je possède le savoir-faire nécessaire? Est-ce qu’une telle orientation me satisfera vraiment et surtout est-ce que j’aurai la détermination nécessaire pour assumer un tel changement?

Les questions à se poser sont nombreuses. Voyons déjà la première: quels sont les produits qui conviennent à la commercialisation directe?

En principe on peut tout vendre directement. Mais certains produits sont plus adaptés que d’autres et ce ne sont pas les mêmes canaux de distribution qui entrent en ligne de compte. Dans le domaine de l’alimentation, les critères de fraîcheur et le mode de transport sont déterminants. Lorsqu’il s’agit de produits comme la viande séchée, la confiture ou la plupart des légumes et des fruits à pépins, tels que les pommes et les poires, il n’y a pas de problème. Les baies par contre sont plus délicates il est conseillé de les vendre plutôt dans les magasins de ferme, sur le marché, ou directement sur les terrains où les clients viennent les cueillir eux-mêmes. Les régions de montagne sont défavorisées du fait qu’on y produit en majorité du lait et de la viande, produits qui, exception faite de la viande séchée, ne se prêtent pas à la vente on-line. Celui qui vend par exemple du fromage et des yogourts via Internet doit s’assurer qu’ils sont transportés au frais. Pour cela, il faut placer la marchandise dans une caisse remplie de glace. Il en est de même pour la viande fraîche. Or, davantage d’emballage engendre des coûts plus élevés et davantage de déchets. Une option discutable donc, écologiquement parlant. Les règlementations concernant le lait et les produits carnés peuvent poser problème également dans un magasin de ferme lorsque le flux de clients n’est pas suffisant. Le seul cas où la commercialisation directe s’avère idéale, et souvent aussi l’unique option, c’est la vente des produits de niche.

Les produits de niche permettent de se démarquer de ses concurrents. Est-il judicieux alors d’y apposer son propre label ou un label de qualité?

Je déconseillerais quant à moi de créer un nouveau label. N’en rajoutons pas à la jungle des labels ! Je connais des cas où l’utilisation du propre label s’est soldée par un échec car elle est devenue trop onéreuse avec le temps. Mieux vaut donc investir son énergie dans d’autres choses. Il faut avant tout que la qualité des produits et l’hygiène soient irréprochables. Il est aussi important que l’aménagement du magasin à la ferme véhicule une impression de professionnalisme. Il en va de même pour le site Internet et l’emballage des produits. Le tout sans excès de style. Tout doit rester authentique.

Où peut-ton acquérir le savoir-faire nécessaire quand on n’a pas d’expérience en la matière?

Tout d’abord en consultant les centres de conseils agricoles, qui proposent souvent des cours de commercialisation directe. Ceux qui trouveront cela trop théorique peuvent aussi s’inspirer des entreprises qui pratiquent la vente directe. On peut apprendre pas mal de choses à partir des expériences des autres.

Au lieu que les producteurs se lancent dans un processus complexe de vente directe, serait-il envisageable qu’ils se regroupent pour vendre leurs produits directement?

Oui, de telles stratégies de vente comme celles adoptées par ex. par «Scarnuz Grischun» ou «Ürner Hüsgmachts» sont porteuses. Pour les entreprises relativement modestes des régions de montagne en particulier, il peut s’avérer avantageux de se regrouper. Ensemble, les petits producteurs tireront non seulement profit de cette synergie, mais pourront aussi proposer un assortiment plus vaste. Le succès d’une stratégie collective de vente directe dépend finalement des personnes qui y participent. Il faut que l’alchimie fonctionne et que tous tirent à la même corde. Une association est-elle la bonne solution? C’est à voir. Si l’on se sent mieux en agissant pour son propre compte, il faut envisager une autre stratégie. Je pense qu’avant de prendre une décision, il est essentiel de bien réfléchir si l’on est en mesure de s’engager avec d’autres et dans l’intérêt de tous.

Que l’on soit indépendant ou en association, est-il préférable de se limiter à un seul canal de distribution, ou alors de commercialiser les produits via divers canaux?

Au début, il est préférable de se focaliser sur un seul canal et de l’exploiter avec professionnalisme et engagement. Lorsque ce canal aura fait ses preuves, on peut toujours envisager de s’attaquer à un nouveau canal de distribution. Si l’on a par exemple ouvert un magasin à la ferme qui marche bien, pourquoi ne pas envisager de vendre ensuite ses produits sur un marché hebdomadaire. Je conseille de procéder pas à pas, d’engranger des expériences avant de vouloir développer davantage la vente directe.

Et que faire si la vente directe n’apporte pas le résultat espéré?

Il ne faut pas jeter l’éponge trop vite. Cela peut prendre deux à trois ans avant qu’un magasin à la ferme ou un shop online soit bien implanté sur le marché. Il faut donc tenir bon. Si aucun signe de croissance n’est au rendez-vous, et que, après ce laps de temps, on n’a pas atteint l’objectif quantitatif visé, il convient alors de changer de stratégie, en essayant de cibler un autre canal de distribution. Peut-être en arrive-t-on finalement à la conclusion que la vente via la grande distribution est la meilleure des solutions.

A côté de la grande distribution, il y a aussi les magasins de quartier ou de spécialités qui misent sur les produits régionaux. Dans les régions urbaines ils ont à nouveau le vent en poupe. Ne représentent-ils pas une opportunité pour les producteurs des régions de montagne?

Incontestablement. De tels magasins de spécialités dans les régions urbaines – et par ailleurs aussi les magasins Volg dans les régions de montagne – peuvent être un bon canal pour la vente des produits des montagnes. Si l’on opte pour cette solution, il faut s’engager à fond et être bon vendeur. Il faut faire le tour des magasins, leur présenter ses produits, organiser des démonstrations et convaincre personnellement le gérant du magasin de la qualité des produits. Cela vaut également pour les grands détaillants.

A votre avis, comment les producteurs vont-ils vendre leurs produits dans dix ou vingt ans?

Je pense que la tendance actuelle en ce qui concerne les modes de production et de distribution comme les coopératives se maintiendra. Et comme la viande et le lait resteront des produits clé des régions de montagne, la grande distribution conservera sa suprématie. La vente via Internet gagnera de l’importance, mais je ne pense pas que cela déclenchera un énorme engouement pour la vente directe. On assiste déjà aujourd’hui à une certaine renaissance des marchés. Les clients recherchent de plus en plus l’atmosphère des marchés, ils apprécient les divers produits régionaux et le fait de pouvoir bénéficier du contact avec les producteurs et de leurs conseils. Les marchés sur les cols, tels qu’on les trouve dans les Grisons depuis plusieurs années, affichent un potentiel prometteur.

Interview: Isabel Plana

Paru en octobre 2016
L’Aide suisse à la montagnes apporte un soutien financier lorsque l’argent ne suffit pas pour réaliser un projet porteur d’avenir.