Cela ne veut pas dire que je suis tout le temps à la maison. J’ai gardé les contacts avec mes amis du Tessin, et y suis même allé parfois pour un soir en repartant le matin suivant. Il m’est arrivé aussi de rester quelques jours à Breno dans la maison de mon père. C’est là que j‘ai commencé à fabriquer des pâtes dans la cave, grâce à ma fille qui m’en a donné l’idée. Elle apprécie mes gnocchis maison. J’ai donc commencé mes expérimentations et me suis lancé dans la fabrication de raviolis avec diverses farces. Les principes de l’époque sont restés intacts: tout est fait maison et à base d’ingrédients locaux. J’ai parfois servi mes pâtes à des amis et ils étaient tous ravis !
Et puis j’ai eu 40 ans et j’ai pris conscience qu’il fallait que j’entreprenne autre chose. J’ai rendu mon tablier et me suis lancé dans le grand business des pâtes. En réalité pas si grand que ça. Mon poste de travail était exigu et la seule machine était un robot conçu pour un usage ménager, qui a été trop sollicité et a rendu l’âme après quelques semaines. Je commençais toujours ma production peu après minuit, d’une part parce que la demande croissait de façon réjouissante, et d’autre part parce qu’à mi-journée la température dans la cave exiguë était trop élevée ce qui nuisait à la pâte.
Cela a continué pendant près de deux ans. Je ne vivais avec ma famille en Suisse alémanique que le lundi et le mardi. Du mercredi au vendredi, je produisais comme un forcené et le week-end il fallait que je m’occupe du service de catering. Je livrais mes pâtes à des privés avec un vélo électrique et me suis constitué ainsi une clientèle fidèle dans la gastronomie. J’ai donc réaménagé mon local de production et l’ai mis aux normes pour les contrôles alimentaires. Par ailleurs, j’ai pu acheter avec le soutien de l’Aide suisse à la montagne quelques appareils professionnels, qui me simplifient nettement la vie. Un congélateur, un steamer, un malaxeur. Mais surtout un freezer qui permet de congeler mes pâtes sans qu’elles perdent de leur qualité. Depuis lors, de nombreux propriétaires de maisons de vacances de la région emportent souvent des pâtes congelées quand ils repartent chez eux.
Et puis le Corona est arrivé. C’était ici au Tessin une véritable calamité. Le catering et le secteur de la gastronomie se sont arrêtés d’un jour à l’autre. Par contre, j’ai reçu de plus en plus de commandes des autochtones qui étaient ravis que je leur livre des repas à la maison. Cette bouffée d’air frais était la bienvenue. Au début, quand je circulais avec mon vélo électrique, j’ai été arrêté à chaque fois par la police qui ne m’a laissé continuer que grâce à mon sac à dos rempli de pâtes.
La situation s’est ensuite légèrement normalisée. Mais pour le commerce, elle reste difficile. De nombreuses écoles maternelles, auxquelles je livrais ma marchandise régulièrement ont fermé pendant près d’une demi-année. Il n’y avait plus de fêtes et les commandes des privés ne m’ont guère aidé. Nous n’avions plus de réserves car j’avais tout investi dans l’achat de nouvelles machines. Ce qui m’a sauvé, c’est que l’Aide suisse à la montagne m’ait de nouveau accordé son soutien. Un bienfait que je n’oublierai jamais!
Texte: Max Hugelshofer
Images: Yannick Andrea
Paru en
février 2021