Un armailli globetrotteur

Marcel Bühler est vacher, fromager, cuisinier et hôte sur l'alpage du Bois-Raiguel dans le Jura bernois.

Marcel Bühler privilégie les ingrédients naturels, produits localement et travaillés à la main. Sur son alpage du Bois-Raiguel, dans le Jura bernois, il s’occupe non seulement d’un grand troupeau de vaches, mais fabrique aussi du fromage, tient un restaurant et loue des chambres d’hôtes.

Quand on ne part jamais, on ne peut pas vraiment apprécier ce qu’on a à la maison. C’est pourquoi je prends toujours en hiver le temps de faire des voyages. J’achète un billet d’avion, je monte à bord, et me laisse surprendre par ce qui m’attend. Sans plans, sans réservations. C’est ainsi que j’arrive à être le mieux en symbiose avec la population. C’est cela pour moi les voyages. J’ai déjà visité 103 pays et partout j’ai connu des gens qui sont devenus pour moi des amis. Une fois, j’ai bien failli aller en Corée du Nord. J’ai fait la connaissance du potentat Kim-Yong-Un, ici dans le Jura bernois. Il était à l’époque dans un internat à Liebefeld, près de Berne. C’était un petit gars tout pâle, dorloté par le personnel de l’ambassade, et qui ne pipait pas mot. L’ambassadeur achetait régulièrement des œufs d’autruche dans la famille d’un ami tout près d’ici. Une fois, Kim l’accompagnait et mon collègue et moi nous l’avons emmené faire de la luge. C’était amusant. Après, il nous a invités dans son pays. J’y serais allé mais mon collègue s’est défilé.

Je n’ai le temps de voyager qu’en hiver. En été, c’est la saison de l’alpage, et je n’ai pas une minute à moi. Je me lève à 5 heures pour traire les vaches. Il y en a 40, mais nous avons aussi des génisses, des veaux et des cochons sur l’alpage: 120 bêtes en tout. Les cochons et les génisses m’appartiennent, les vaches sont la propriété de mon frère. Nous travaillons ensemble mais chacun pour son propre compte. C’est la meilleure façon de ne pas se disputer. Tout le reste n’est pas important. Je m’occupe de son bétail sur l’alpage, et il fait les foins pour moi. Et en hiver, quand je suis en voyage, il s’assure que tout se passe bien dans mon exploitation à Courtelary.

Le projet en bref

  • Alpagiste
  • Installation de chambres d'hôtes alpage du Bois-Raiguel
  • Bois-Raiguel/BE

Traire, faire le fromage et la cuisine

Après la traite, il faut faire le fromage. Au début de l’été, quand les vaches donnent le plus de lait, la fromagerie regorge du lait du soir précédent et du lait frais du matin. De quoi fabriquer deux grosses meules de fromage. Sept tonnes par été, dont 2000 portions de fondue que je prépare dans la métairie. Je ne produis pas uniquement du Gruyère, mais également du fromage mi-dur et diverses sortes de fromage à pâte molle, environ deux tonnes par saison. Il est important d’avoir du choix quand on vend son fromage dans son propre restaurant. Je propose un bel assortiment de fromages de ma propre production. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Il est essentiel pour moi de me fournir le moins possible à l’extérieur. Les légumes et la salade viennent du jardin, le lard et les saucisses des cochons d’alpage. En automne, on sert tous les week-ends des produits de boucherie maison. Je fais également du beurre, et chez moi la crème battue pour les crèmes glacées ne vient pas de berlingots mais de mes propres vaches. Passer la nuit après le repasLa journée, et jusque tard le soir, je suis là pour mes clients. J’ai trois employés saisonniers, et si nécessaire je fais appel à des externes. Ma mère me donne un coup de main et je peux également compter sur le soutien de ma compagne. Mais il y a toujours énormément à faire. Surtout actuellement depuis que je loue aussi des chambres. L’idée est venue de mes clients. On me disait souvent qu’il serait tellement plus agréable de ne pas devoir retourner à la maison et de pouvoir dormir ici sur l’alpage. J’ai donc transformé l’étage sous le toit qui était désaffecté et y ai aménagé quatre chambres modestes mais cosy. L’Aide Suisse aux Montagnards m’a soutenu car j’avais utilisé toutes mes économies pour rénover la métairie, la porcherie et la salle du restaurant. Comme j’ai pu faire pratiquement tous les travaux moi-même, la transformation n’a pas été trop onéreuse mais pas gratuite non plus. La rénovation des toilettes, désormais accessibles aux handicapés, s’est avérée plus chère que prévu.

Je suis maintenant très satisfait des résultats. J’ai déjà pu héberger mes premiers clients et ils étaient très contents. Bien sûr, les journées sont d’autant plus longues. Je me dis parfois qu’il ne vaut plus la peine d’aller au lit, mais par chance je n’ai jamais eu l’impression d’être au bout de mes forces car le stress finit par disparaître. C’est le côté positif des saisons d’alpage. Au printemps, je me réjouis qu’elles commencent et en automne je suis content qu’elles s’arrêtent et que je puisse décompresser et aller découvrir un nouveau pays.

Texte: Max Hugelshofer

Photos: Yannick Andrea

Paru en septembre 2017