Au tour de tourneur, plutôt qu’à l’aide sociale
En raison de problèmes de santé, Max Kessler ne pouvait plus travailler comme constructeur de voies ferrées et il est devenu tourneur. Il fallait donc du nouveau matériel.
En raison de problèmes de santé, Max Kessler ne pouvait plus travailler comme constructeur de voies ferrées et il est devenu tourneur. Il fallait donc du nouveau matériel.
Une opération du genou a transformé Max Kessler, cheminot engagé, en un tourneur sur bois passionné. La période transitoire a cependant été pénible, pleine de déceptions, et nourrie par la peur de devenir un cas social. Mais elle a aussi été source motrice d’inspiration et de détermination à se battre.
«La première fois que je suis allé timbrer a vraiment été horrible. J’avais honte et je me sentais lâché par mon employeur de longue date! Aujourd’hui, je n’ai plus aucune rancur, mais à l’époque j’étais vraiment fâché! Fâché avec le monde entier. Le responsable de cette situation misérable, c’est mon genou droit. Il me faisait de plus en plus souffrir et une opération devenait inévitable. Quand, avant l’opération, le médecin m’a dit que je pouvais dire adieu à mon métier de préposé à l’entretien des voies ferrées, le ciel m’est tombé sur la tête! J’ai été cheminot toute ma vie. C’était ma passion. J’ai fait mon apprentissage aux CFF à Winterthour, puis ai été conducteur de locotracteur. Plus tard, quand on a diagnostiqué de l’asthme chez mon fils aîné, j’ai cherché une place en montagne et ai travaillé pour les chemins de fer rhétiques (RhB). C’est ainsi que nous sommes restés 20 ans en Engadine. Aujourd’hui, nous avons nos racines ici, et entre-temps je comprends bien le romanche. Ici, on m’a donné le surnom de «Barbamax». Barba veut dire «oncle» en romanche, mais ce surnom, je le dois à ma barbe. Je porte la barbe depuis mon école de recrue. Et au fil des ans, elle est devenue mon signe distinctif. J’ai d’abord habité avec ma famille à Samedan, puis à Schanf. Depuis que les enfants sont partis de la maison, ma femme et moi vivons seuls ici, dans un appartement d’un bâtiment de la gare, à proximité des voies.
Cet appartement est l’unique lien que j’ai gardé avec les trains. Je savais qu’après mon opération je recevrais mon congé, mais cela faisait mal. J’ai postulé auprès de différentes compagnies ferroviaires dans toute la Suisse, mais n’ai reçu que des réponses négatives. Mon amour-propre en a pris un sacré coup! La perspective d’être encore longtemps au chômage m’était devenue insupportable. J’avais la hantise de devenir un cas social et je réalisais que je ne pouvais continuer à vivre ainsi. Je ne me rappelle plus quand le déclic s’est produit mais, à un moment donné, mon désespoir a fait place à la détermination. J’avais décidé de me battre pour m’en sortir sans faire appel à l’aide sociale. Le travail à temps partiel de ma femme ne nous suffisait pas pour vivre, car en Engadine tout est cher. Mais en fait, il ne manquait pas beaucoup et je pensais qu’un revenu même modeste devrait faire l’affaire. Une idée me traversa alors la tête: pourquoi ne pas faire de ma deuxième passion un métier.
Quand j’étais gosse, je voulais devenir tourneur sur bois. Pour mes 50 ans, je me suis offert un cours et le travail m’a passionné. J’ai fait l’acquisition d’un tour et me suis mis à façonner de petits objets de la vie courante pendant mes loisirs. Quand, dans mon petit atelier au bas de l’immeuble, je confectionnais un article pour ma famille ou mes amis, j’oubliais le train-train quotidien. La fabrication de boules en bois me procurait un grand plaisir. Par la suite, j’ai essayé de creuser les boules. Après plusieurs tentatives infructueuses, je suis arrivé à les creuser de façon à obtenir une surface extérieure de quelques millimètres d’épaisseur seulement. Lorsque l’on place une lampe LED à l’intérieur de la boule, on obtient un effet particulier: la lumière traverse le bois et diffuse une belle lueur chaleureuse. Les gens étaient emballés par mes lampes, qui nécessitaient jusqu’à 15 heures de travail, selon la taille. Je décidai donc de mettre cet engouement à profit pour vendre mes uvres et acquérir ainsi les revenus qui faisaient défaut. Et je n’ai pas fait les choses à moitié. Un agent fiduciaire du village m’a établi un plan d'affaires à prix d’ami, et une graphiste a créé pour moi un logo en contrepartie de biens en nature.
Ma nouvelle activité a bien démarré. La demande est supérieure à ma capacité de production. Je fabrique des lampes, des boules et des manches de parapluie pour les gens de l’Engadine ainsi que de la plaine. J’exécute aussi des travaux sur commande, comme c’est le cas actuellement, où je confectionne des coupes pour un tournoi de curling dans la vallée. Comme entre-temps j’ai aussi trouvé un job de chauffeur de bus à temps partiel, mes revenus me permettent d’assurer ma subsistance. Je prévois même de réduire à moyen terme mon activité de chauffeur pour me consacrer davantage au tournage. Le problème, c’est que mon vieux tour a atteint ses limites en matière de performances. Le moteur est trop faible, ce qui fait que je ne peux travailler des objets de plus de 40 cm de diamètre. La sécurité laisse aussi à désirer. Comme ma femme et moi avons vécu depuis mon opération sur nos économies, je ne pouvais pas me payer un nouveau tour. Et même avec le crédit que la banque a accepté de nous accorder, cela ne suffisait pas. Je suis donc très heureux que l’Aide Suisse aux Montagnards ait mis à ma disposition le montant manquant. Seul, je n’y serais pas arrivé et l’acquisition d’un nouveau tour était inévitable. Désormais, je pourrai continuer à créer de belles choses et surtout pendre ma nouvelle vie professionnelle en main.